Il y avait Laurie, Linette et Louise. Louise était la plus jeune. Elle me gardait des fois. Une nuit, je devais avoir 6 ans, j’ai été réveillée par le bruit du téléphone. Le gros bip strident du téléphone laissé trop longtemps décroché. Je me suis levée et dirigée vers le bip. C’était dans la chambre de ma mère. Louise était endormie avec le téléphone tout près de son oreille. Gelée sur je sais pas quelles pillules. J’ai racroché et suis retournée me coucher. Laurie était la sorcière, tout pleine de foulards et de grosses bagues weirds, et Linette l’amoureuse finie. Toutes trois soeurs, amies, ennemies, rivales. Et incrustées dans ma vie grâce à l’amitié complètement disfonctionnelle qui les unissaient elles et ma mère. Louise est morte très jeune. 19 ans je crois. Noyée dans son bain, chez son chum Dick, la quarantaine entammée, qui servait aussi de docteurs aux filles. Elle devait être très malade ce soir là, et il l’a trop bien soignée. Laurie est morte aussi, plus tard, son coeur a décidé que c’en était assez. Je ne sais pas ce qui est advenu de Linette. Elle et Laurie aimaient jouer des head games avec ma mère. Une fois je m’étais réfugiée dans la dépense chez Laurie, les deux criant des insultes à ma mère au téléphone, la menaçant de me garder, qu’elle n’était pas capable de s’occuper de moi, qu’elles ne me laisserait pas retourner chez moi. J’ai aucune idée pourquoi j’étais là, ni comment ça c’est terminé. Ça sentait les feuilles d’érables dans la dépense. Et j’entendais les deux rire tout bas. J’avais reçu un pendantif pour ma fête de la part de ma marraine, un éléphant en or avec des petits rubis pour les yeux. Un jour, il a disparu, et je savais que c’était Laurie qui me l’avait volé. Mais j’ai rien dit. Quand j’ai eu ma fille, sa belle-soeur est venue me voir et m’a donné une petite boite à bijou en vitrail. Elle m’a dit, je sais que ça fait longtemp que tu voulais ça. Et c’était l’éléphant. Laurie était déjà morte depuis des années, et elle l’avait récupéré dans son appart, et l’avait gardé tout ce temps là.
Mon enfance est un jardin de mutants, de produits étranges et épeurants. Des fées enceintes garot au bras, des morts angéliques, des petits pas dans les salons zonés toxiques. Des grands qui m’appelaient chérie, et ma mère belle-maman. Des soupers de fonds de conserves et des fuites norcturnes urgentes.
Y a rien de lyrique là dedans. Rien de poétique. Je cherche vraisemblablement une cause à mes peurs, mes control issues. Et d’une certaine façon, je ne déteste pas repenser à cette époque. C’est une partie de moi, un des engrenages de ma mécanique. Je ne fais pas tout pour oublier, encore moins nier. Je ne m’en sers pas pour faire pitié, ni pour justifier mes erreurs de jugement ou mon caractère de marde. J’ai pas de leçon à tirer de tout ça.
C’était assez évident qu’ils mourraient tous.
Un soir, j’avais 8 ans, je mettais la musique. En fait, je mettais la musique pas mal tout le temps. Et en prennant King Crimson dans mes mains, j’ai comme senti un shift dans l’air… C’était un petit party, 6-7 personnes max, du vin, du hash, chill. J’ai ignoré le feeling le temps de mettre le disque. Griche, griche… The rusted chains of prison moons, are shattered by the sun… Et je me suis retournée, et tout le monde était en train de s’embrasser sur le sofa sectionnel vert bouteille de Nicole. Je me suis levée et je suis allée dans la cuisine me faire un verre de lait.
Tu ne m’en voudra pas j’espère de te dire ceci…”Chérie, je bois tes mots jusqu’à la lie et sachant très bien pourquoi, j’ai un film qui me joue dans la tête, ça fais aussi “crish crish”, la bobine 8 milimètre jammée full de noir et blanc, mais du vert intelligent de tes yeux…La présence…
Chérie…S’il te plait, écris-nous un livre…”
Tabarnak.